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article publié en mai 2022 dans l' a c t i o n    n a t i o n a l e

Le rêve de René Lévesque abandonné par le Parti québécois sera-t-il réalisé par François Legault ?

Par André Larocque

Membre fondateur du Mouvement Souveraineté-Association (MSA)

Membre fondateur du Parti québécois

Premier coordonnateur au programme du PQ, 1968-1971

Chef de cabinet du Leader de l’Opposition (PQ), 1970-1977

Sous-ministre à la Réforme électorale et parlementaire dans les deux gouvernements de René Lévesque, 1977-1985

Sous-ministre à la Réforme des institutions démocratiques dans le gouvernement de Bernard Landry, 2000-2001

Professeur associé à l’École nationale d’administration publique, 2001-2011

§


           Le 24 août 2022, les Québécois marqueront le 100e anniversaire de naissance de l’homme politique qu’ils ont aimé plus que tous les autres au cours de leur histoire. On le célébrera d’abord comme démocrate. On le célébrera pour son intégrité. On le célébrera comme le plus grand patriote de notre histoire.(1)

 

Démocrate il l’était, bien au-delà de la seule dimension institutionnelle de la démocratie. René Lévesque, amoureux de son peuple, adulé par son peuple, grand défenseur de ses droits, pourfendeur d’élites qui trahissent ce peuple depuis toujours… René Lévesque était avant tout le champion de la volonté populaire. En retour, le peuple le voyait et le voit encore comme son champion.

 

C’est pour ce peuple qu’il avait un rêve. Il l’a appelé « OptionQuébec ». Il en a fait un manifeste, « Un Québec souverain dans une nouvelle union canadienne » qui a été rejeté par le Parti libéral du Québec en congrès le 18 septembre 1967. Il en a fait un livre, « OptionQuébec », publié en janvier 1968. Il en a fait un mouvement, le « MouvementSouveraineté-Association », établi le 20 avril 1968. Il en a fait un parti politique fondé les 11, 12 et 13 octobre 1968 à Québec. Il en a fait le programme constitutionnel de son gouvernement élu le 15 novembre 1976.

 

Comme le rêve de Samuel de Champlain d’un nouveau peuple métissé en Nouvelle France, comme le rêve d’une République indépendante du Bas-Canada de Louis-Joseph Papineau, le rêve qu’est Option Québec n’a pas abouti. Il est resté en plan le jour où le Parti québécois a refusé de suivre son fondateur dans sa détermination à respecter le verdict populaire du référendum de 1980. Le jour où l’indépendantisme est devenu plus important que la démocratie, le jour où le parti est devenu plus important que la patrie. Notre histoire est marquée par trois grands rêves qui, chacun, ont frappé un mur. Pas un mur venu de l’extérieur, mais un mur dressé par des gens d’ici.(2)

 

Les lignes qui suivent n’ont pas été écrites de gaieté de cœur. Pendant les célébrations de 2022, il y aura unanimité à célébrer le grand homme. On dira que les fidèles de René Lévesque lui sont toujours restés fidèles. Ce n’est malheureusement pas vrai. On dira que sa plus grande contribution à l’histoire du Québec a été la loi 101 sur la langue. Ce n’est pas vrai. Il aurait voulu s’en passer. On dira que René Lévesque s’est retiré comme chef du parti « mission accomplie ». Ce n’est pas vrai. Le fondateur du parti a été mis à la porte par les siens. On oubliera de dire que la réforme démocratique qu’il chérissait le plus dans toute sa carrière politique, a été sabotée par un gouvernement du Parti québécois ! On ne dira pas que sa volonté passionnée de réformer le mode de scrutin et, avec elle, la possibilité d’enclencher une vaste opération de décentralisation a été descendue en flammes par le caucus des députés de son parti.

 

Plusieurs m’ont dit : il ne faut pas gâcher la fête ! Mais il s’agit de bien plus qu’une fête. René Lévesque est au cœur même de notre histoire. Pendant qu’on parlera beaucoup de lui, il mérite d’avoir l’occasion de parler pour lui-même. C’est pourquoi, la suite de ce texte est très largement tirée des propos même de monsieur Lévesque tels qu’il les a dits dans son autobiographie : Attendez que je me rappelle…(3)

 

Mais cela ne veut pas dire que tout est sombre. Le rêve de René Lévesque n’a pas fini de vivre. Se pourrait-il qu’un jeune homme qui n’avait que dix-huit ans le 15 novembre 1976 en soit le nouveau porteur ? La pandémie commencée en 2020 a révélé au Québec un nouveau leader. François Legault est un homme qui a parfaitement saisi le cheminement difficile de René Lévesque, qui s’en est inspiré pour former son propre parti, un homme amoureux de son peuple, un homme qui n’hésite pas à dire que dans ses fonctions de premier ministre, il cherche à être à la hauteur du message de René Lévesque.

 

L’INDÉPENDANTISME AVANT LA DÉMOCRATIE

 « …entre notre volonté d’atteindre notre objectif et son aboutissement, il y a… le peuple du Québec qui, seul, décide… » René Lévesque(4)

« …l’idée de l’indépendance a besoin d’apprendre à patienter, à durer jusqu’au jour elle reposera non plus sur un mouvement, si vaste soit-il, mais carrément sur un peuple. » René Lévesque.(5)

 

Nous savons tous que le référendum promis par le premier ministre s’est tenu le 20 mai 1980. À cause de l’invraisemblable inertie des médias et à cause de la fixation du PQ sur la victoire ce jour-là, cette société est restée largement dans l’ignorance de la véritable portée historique de la Loi sur la consultation populaire adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin 1979.

 

Il ne s’agissait pas d’une loi pour un référendum un jour. C’était une loi de caractère statutaire, c’est-à-dire une loi permanente qui introduisait au cœur de nos institutions politiques le droit du peuple de décider lui-même de toute question d’intérêt public. C’était là la réforme démocratique la plus fondamentale dont un peuple puisse disposer.

 

Donc ce 20 mai 1980, pour la toute première fois dans toute son histoire, le peuple québécois était appelé à trancher par un OUI ou par un NON son avenir constitutionnel. Ce peuple a fait plus que répondre à une question. Il a rendu un verdict, son verdict. À 60%, il a dit NON. On pouvait en être satisfait ou insatisfait. Mais, pour qui qu’on soit, ou quelque organisme qu’on représente, y compris le PQ, il fallait souffrir sérieusement d’insuffisance démocratique pour se permettre de porter son propre verdict sur le verdict populaire ! Et pourtant. Il y a eu légion chez les indépendantistes, foules chez les commentateurs, même qu’il n’a pas manqué d’historiens pour entonner le thème qui, inconsciemment ou pas, ne peut être autre chose qu’un profond mépris du peuple : ce peuple s’est dit non à lui-même… le peuple s’est trompé… le peuple ne sait pas ce qu’il veut… !!! Ce dédain pour la volonté populaire s’est largement agrandi à la suite du second référendum, celui de 1995, et on ira jusqu’à dire et répéter pendant plus de vingt ans que les Québécois sont le seul peuple au monde qui s’est dit NON à lui-même deux fois plutôt qu’une, même si l’électorat francophone a voté OUI à 62%. Nous sommes à des années lumières de la pensée de celui qui a choisi plutôt de dire : nous sommes quelque chose comme un grand peuple. Ou encore « De société plus accueillante, plus spontanément fraternelle, plus prête à partager ses peines comme sa joie de vivre, je n’en avais rencontrée nulle part. »(6)

 

Comme l’a rapporté Michel Carpentier, bras droit de monsieur Lévesque et organisateur en chef du camp du OUI en 1980 : Le soir du référendum, René Lévesque venait de perdre une cause… mais aussi d’en gagner une, celle de la démocratie. (Monsieur Lévesque m’a dit : ) …. « On va quand même gagner quelque chose. L’important, c’est que la population puisse décider elle-même de son avenir. Vous verrez, Michel, ce ne sera qu’un début (…) René Lévesque a accepté la décision démocratique du peuple et n’a jamais tenté de l’interpréter pour autre chose que ce qu’elle disait.Il a aussitôt repris le collier dans la foulée de la décision populaire. »(7)

 

Martine Tremblay qui deviendra la cheffe de cabinet de monsieur Lévesque fait le commentaire suivant : « J’ai lu les théories selon lesquelles René Lévesque était un homme brisé à la suite du référendum. C’est du délire : il a pris acte de la décision des Québécois qui ont refusé d’avancer vers la souveraineté, et c’est un homme serein qui est retourné en élection en 1981 ».(8)

 

Et de fait, à peine quelques mois après le référendum, cette fidélité de René Lévesque à la volonté populaire s’est vue récompensée par l’expression de la fidélité populaire à son égard. L’élection générale du 13 avril 1981 a vu son gouvernement recevoir un appui de 49,3%. Le fondateur du PQ venait de porter son parti au plus haut sommet qu’il atteindra dans toute son histoire.


PRIVÉ DE RENÉ LÉVESQUE, LE PQ ENTREPREND SA DESCENTE EN CHUTE LIBRE

De 23,1% à sa première élection en 1970 à 49,3% en 1981, le PQ, privé de René Lévesque, passera à 17,1% en 2018 et fera face à l’extinction en 2022. Sur cette période, le PQ aura fourni au Québec cinq premiers ministres élus. René Lévesque avec 41,4% et 49,3% d’appui populaire. Jacques Parizeau avec 44,8% en 1994 alors qu’il a défait le Parti libéral du Québec de Daniel Johnson par une majorité de… 0,3% du vote, soit une majorité de 14 000 voix sur un total de quelque cinq millions ! Lucien Bouchard a été élu en 1998 non pas par le peuple mais par le mode de scrutin puisque le PQ a terminé en seconde position, avec 42,9% contre 43,6% pour le parti de Jean Charest. Enfin, Pauline Marois avec 35,2% d’appui populaire en 2008 puis 31,9% en 2012 formant ainsi le gouvernement le plus faible depuis 1867 et aussi le plus bref !

 

Il n’y a pas eu que le vote populaire qui ait chuté. Dans un documentaire intitulé « Qui se souvient de René Lévesque ? », réalisé par Louis Asselin et présenté à Télé Québec, le 9 février 2022, on présente un sondage de la Maison Léger. À la question : « Qui a été le plus grand premier ministre du Québec depuis la Révolution tranquille ? », les réponses ont donné à René Lévesque (66%), à Robert Bourass (8%), à Jean Lesage (4%), à Jacques Parizeau (3%), à Lucien Bouchard et Bernard Landry (2%) et à Pauline Marois (1%). Manifestement la grande histoire d’amour du peuple québécois avec René Lévesque ne s’est pas transférée à ses successeurs !

 

La principale caractéristique des gouvernements du PQ après le départ du chef fondateur a été l’abandon quasi-total de toutes perspectives visant la démocratisation de nos institutions politiques. À l’exception de la loi sur la tenue des élections à date fixe adoptée par le gouvernement Marois et contournée le lendemain même de son adoption, aucun gouvernement du PQ n’a avancé le moindre projet à visée démocratique, ni celui de Jacques Parizeau, ni celui de Lucien Bouchard, ni celui de Pauline Marois.

 

La fixation définitive s’est rapidement portée sur l’indépendance. L’indépendance n’est plus un moyen. Elle est l’objectif primordial omniprésent. Le PQ devient un cercle enfermé sur l’indépendance. La souveraineté populaire, l’assise même de la démocratie, cède la place à la souveraineté de l’État. Le moyen devient plus important que l’objectif. Le peuple est mis au second rang, ou carrément oublié, pour se centrer sur cet État que nos élites ont l’ambition de compléter. Comme l’avait craint Pierre Vadeboncoeur : « l’indépendantisme ne doit pas tuer l’indépendance ».(5) Mais ce fut bien le cas ! Année après année, élection après élection, le PQ prenait figure d’une société fermée, qui se parlait à elle-même, qui se déchirait sur la date, sur la question, sur le détail du comment. Tellement que cela se poursuit jusqu’à aujourd’hui, même au risque que le PQ s’éteigne.

 

Dans les faits, la journée où le PQ a tourné le dos à René Lévesque, le peuple québécois a tourné le dos au Parti québécois. René Lévesque aurait-il déjà prédit où s’en allait le parti qu’il avait fondé quand il a dit : « Je n’avais jamais été un vrai partisan. Dirai-je tout de go que je crois n’avoir jamais pu l’être. Pas plus péquiste que libéral. Pour moi, tout parti politique n’est au fond qu’un mal nécessaire … les partis appelés à durer vieillissent généralement assez mal. Ils ont tendance à se transformer en églises laïques hors desquelles point de salut et peuvent se montrer franchement insupportables. À la longue, les idées se sclérosent et c’est l’opportunisme politique qui le remplace. Tout parti naissant à mon avis, devrait inscrire dans ses statuts une clause prévoyant qu’il disparaîtra au bout d’un certain temps. Une génération ? Guère davantage, ou sinon, peu importe les chirurgies plastiques qui prétendent lui refaire une beauté, ce ne sera plus un jour qu’une vieillerie encombrant le paysage politique et empêchant l’avenir de percer ».(9)

 

LE FONDATEUR DU PARTI QUÉBÉCOIS MIS À LA PORTE

À son congrès national de 1981, le Parti québécois modifiait son programme pour établir que désormais l’expression d’une majorité populaire n’était pas nécessaire pour proclamer l’indépendance. Tout ce qu’il y avait de plus opposé aux convictions politiques les plus profondes de monsieur Lévesque. Comme il le dira lui-même : « Tandis que le Parti québécois achevait de s’estomper, c’était le visage implacable du vieux RIN qui réapparaissait. En compagnie de l’indépendance pure, dure et inaccessible. »(10)

 

Le même congrès du PQ a offert une scène bien particulière qui dénotait bien qu’il y avait plus qu’un différend entre Lévesque et les anciens du RIN. C’est encore René Lévesque qui parle : « Surgissant de la foule comme un diable d’une boîte, un jeune rouquin trapu s’approcha aussitôt du micro. Je n’en crus pas mes yeux. C’était Jacques Rose, l’un des membres de la cellule qui avait assassiné Pierre Laporte en 70… Parmi les applaudissements qui fusèrent alors de plusieurs coins de la salle, on entendit même une voix qui saluait avec ferveur un des ‘vrais’ pionniers de la libération. C’était le bouquet. »(11)

 

Impossible pour René Lévesque de laisser passer la résolution adoptée à l’effet qu’il ne fallait, pour proclamer l’indépendance, qu’une majorité de l’Assemblée nationale, et non l’assentiment populaire. Le chef du parti remit la décision entre les mains de l’ensemble des membres du parti. Ils étaient 300 000 en 1981. Par un vote de 95%, les membres ont soutenu le chef. Ça n’a pas suffi ! On n’avait pas plus d’égard pour la démocratie à l’intérieur du parti qu’on en avait pour la démocratie au plan national. La révolte contre le chef du parti était enclenchée.

 

Elle allait atteindre les plus hautes sphères du parti. Le premier ministre, restant fidèle au verdict démocratique populaire de 1980, propose ce qu’on a appelé le « beau risque ». On y propose de poursuivre la réforme d’un fédéralisme renouvelé tout en ne perdant pas de vue que : « la souveraineté devait rester la suprême police d’assurance du peuple ». (12) Jacques Parizeau, Camille Laurin, Denis Lazure, Jacques Léonard, Gilbert Paquette, Denise Leblanc-Bantey abandonnent leur poste au Conseil des ministres et, du coup, rompent avec le premier ministre.

 

Certains doutent encore que le fondateur du Parti québécois ait été mis à la porte. Pourtant pour en savoir tous les aspects, il suffit de lire le chapitre 1 (eh oui, le tout premier chapitre, en particulier des pages 23 à 30 !) de son autobiographie : René Lévesque. Attendez que je m’en rappelle. Dans ses Mémoires, René Lévesque nous apprend que « c’est au Conseil des ministres que la saignée était surtout visible et douloureuse »… on y prenait, dit-il « l’allure de grands appétits de succession »… « de grenouillage autour de la chefferie… d’aucuns n’avaient songé à rien d’autre depuis un bon bout de temps ». Il y est mentionné explicitement la « rupture avec Jacques Parizeau et Camille Laurin ».

 

            Le 11 janvier 1985, René Lévesque est hospitalisé.Lui-même écrira : « je me résignai donc à me laisser conduire à l’hôpital »(13) mais là, « j’ai appris avec soulagement que je faisais partie du dix pour cent le plus en santé de mon groupe d’âge ! »(14)

 

Le député puis ministre du PQ, Guy Chevrette, dira : « Le grenouillage s’est intensifié. C’est ce qui a incité monsieur Lévesque à ‘sacrer son camp’. Il n’avait pas la force de se battre contre des membres du parti qu’il avait fondé ».(15) Également ex-député et ministre, Jacques Brassard dira : « Monsieur Lévesque ne s’est jamais lassé des Québécois. Il est parti à la suite de pressions qui venaient de son conseil des ministres et de son parti ».(16)

 

QUAND ON COLLE À RENÉ LÉVESQUE UN HÉRITAGE DONT IL NE VOULAIT PAS

Dans ce processus de tourner le dos au fondateur, ceux pour qui l’indépendance était plus importante que la démocratie ont réussi à imprimer dans l’image publique que la principale contribution de René Lévesque à l’histoire du Québec a été de nous avoir donné la loi 101. Or, cela est faux ! Monsieur Lévesque disait carrément qu’un peuple qui impose sa langue par la loi ne mérite pas de la parler. Pour voir une explication détaillée de la raison pour laquelle il s’y opposait et de sa version à lui d’une façon de protéger la langue, il faut aller au très explicite témoignage de Guy Rocher, sous-ministre responsable de la préparation de la loi 101.(17)

 

Marc Laurendeau dira : « Sa priorité personnelle était l’assainissement et la démocratisation des mœurs politiques… ça l’ "humiliait" – l’expression était de lui – d’avoir à légiférer à propos de la langue ».(18)Martine Tremblay : « …une fois devenu premier ministre, c’est le projet de loi sur le financement des partis politiques qu’il voulait adopter en premier. Mais Camille Laurin l’a court-circuité. »(19)

 

La force du nationalisme ethnique combinée à l’ignorance ou l’indifférence des media ont réussi à coller l’image historique de René Lévesque à cette loi. Même son biographe le plus prolixe, Pierre Godin, écrira : « C’est le même esprit réformateur qui se retrouve dans la loi 101, un autre héritage incontournable de René Lévesque. »(20) En plein 2022, dans l’année de son centenaire, le documentaire produit sous le titre : « Qui se souvient de René Lévesque ? » nous apprend que la première réponse à la question « quelle était la réalisation la plus marquante de l’homme politique ?, c’est l’instauration de la loi 101 !

 

Pourtant Lévesque, lui-même, en parle tout autrement : « …la loi 101 est un instrument dont seule une société coloniale aurait à se doter » ou encore « ces béquilles législatives qui m’ont toujours paru foncièrement humiliantes ».(21) Il va même jusqu’au point de s’interroger sur son possible effet négatif à un moment fort important, celui du référendum de 1980 : « La loi 101 apparaissait comme un rempart à toute épreuve pour la langue et l’avenir national lui-même. Trop, probablement. Je me demande encore si ce sentiment de sécurité béate n’aurait pas contribué sournoisement à affaiblir le OUI référendaire ».(22)

 

            De tout cela, il ne faut pas conclure que René Lévesque n’était pas intéressé à protéger notre langue. Il faut en conclure qu’il était opposé à ce qu’on le fasse par un processus et dans un esprit autoritaires. Toujours chez lui, le démocrate prévaudra sur l’indépendantiste et sur le nationaliste. Comme le dit Pauline Marois dans le documentaire « Qui se souvient de René Lévesque ? » : « Seul son amour pour la démocratie aurait pu surpasser son affection bien connue pour le français ».(23)

 

En faussant son héritage, on ne fait pas qu’une erreur qu’on pourrait déplorer. On fait le plus grand dommage qu’on puisse faire à la mémoire de René Lévesque : on détourne l’attention du public, aujourd’hui et pour l’histoire, de ce qui était pour lui l’essentiel : la défense de la démocratie.

 

            En retenant que cela pourrait avoir d’immenses répercussions pour ce qui se passe aujourd’hui (2022) au Québec, peut-être que celui qui a le mieux compris l’affrontement entre l’option démocratique de René Lévesque et l’option nationaliste étroite qu’ont choisie ses successeurs est un homme qui, le 15 novembre 1976, n’avait que 18 ans ! Il s’appelle François Legault. : « …Il y a eu l’épisode du ‘beau risque’. Ça prenait du courage pour amener le PQ sur ce chemin-là. Mais monsieur Lévesque a écouté le peuple et s’est ajusté. Il ne pouvait pas garder le Québec dans un cul-de-sac… Je me reconnais beaucoup là-dedans, j’ai fait un peu le même cheminement. René Lévesque a réussi à amener le PQ dans cette direction, mais ça lui a couté cher, même s’il était le fondateur, le chef historique de ce parti-là. Moi, j’ai choisi de fonder un autre parti. »(24)

 

À CHOISIR : LE POUVOIR DES CITOYENS OU CELUI DES PARTIS

« De toutes les réformes que nous avons pu mener à bien, voici celle du financement démocratique des partis politiques dont je serai toujours le plus fier. Celle également qu’on ne laisserait ternir que pour un jour s’en mordre les doigts. » René Lévesque.(25)

En amendant cette loi, le gouvernement de Pauline Marois descendait en flammes la réforme qui était celle dont René Lévesque disait qu’il serait toujours le plus fier ! Le sixième successeur de monsieur Lévesque à la tête du PQ sabotait carrément non seulement le premier objet de la fierté du fondateur du parti mais bien plus ! Comme le dit bien clairement Michel Carpentier, bras droit de René Lévesque : « Je l’ai entendu dire, je ne sais pas combien de fois que, s’il n’était devenu premier ministre que pour faire adopter cette seule loi-là, toute sa carrière politique aurait été justifiée. »(26)

 

Voilà de toute évidence une déclaration d’immense importance. La carrière politique de René Lévesque a été une des plus productives, sinon la plus productive, de toutes celles qui ont marqué l’histoire de la société québécoise au grand complet. À priori, il est difficile d’imaginer que cette réforme voulue et adoptée par René Lévesque était pour lui plus déterminante pour sa carrière que, par exemple, la nationalisation de l’hydro électricité ! C’est que si le grand exploit de la nationalisation a été un super propulseur de l’économie du Québec, la loi du financement des partis politiques constituait l’assise d’un exploit plus grand encore : la souveraineté populaire ! Pour s’y comprendre, il faut encore une fois se concentrer sur le cœur du message de René Lévesque, la démocratie, le pouvoir populaire, le pouvoir citoyen.

 

René Lévesque était hautement critique de l’ensemble des institutions politiques que l’Angleterre avait imposées au Québec défait en 1759. Alors que la Révolution américaine de 1776 avait institué une forme de démocratie réelle, quoique limitée… alors que la Révolution française de 1789 en avait, à sa manière, fait autant… ce que les Britanniques ont eu la prétention d’appeler la Grande Révolution de 1688 s’était limitée à soumettre le Roi au pouvoir du Parlement ne s’est jamais étendue au point de mettre le pouvoir entre les mains du peuple. Et, il en est encore vrai aujourd’hui ! Dans les institutions politiques qu’on nous présente souvent comme un lègue de liberté, le pouvoir est sous le contrôle direct, permanent, incontournable non pas du peuple mais des partis politiques.

 

Sous le modèle britannique, le peuple n’élit pas le gouvernement. Il élit des candidats de partis qui détermineront la désignation du chef du gouvernement. Le peuple élit des députés responsables de voter les lois, mais l’adoption des lois est strictement sous le contrôle du parti dominant. Le parti dominant ne l’est pas par la volonté du peuple mais par les bizarreries d’un mode d’élection que René Lévesque a qualifié de « démocratiquement infect ». On pourrait y aller indéfiniment, mais en un mot, les institutions politiques britanniques n’instaurent pas une forme de démocratie. Elles instaurent une forme d’usurpation du pouvoir citoyen par les partis politiques. Elles instaurent une « partitocratie » !

 

Or, la loi du financement démocratique des partis politiques du Québec sanctionnée le 26 août 1977 avait justement comme but de transférer le pouvoir des partis politiques aux propriétaires des partis que sont, en démocratie, les citoyens.

 

Depuis toujours, nos media sont souvent d’une superficialité phénoménale et n’y ont vu qu’une loi sur la comptabilité des partis ! Or la « loi 2 » ne portait pas d’abord sur les entrées et sorties financières des partis. Elle portait sur la propriété même des partis politiques. En démocratie, si les partis ne sont pas la propriété donc sous le contrôle bien réel des citoyens, il n’y a pas de démocratie. Le cœur, l’âme de la loi 2 de René Lévesque limitaient le financement des partis aux seuls électeurs. Fini le contrôle des partis politiques par des intérêts privés, des caisses électorales occultes.

 

En un mot, l’objectif prédominant de toute la carrière politique de René Lévesque était de faire du Québec une démocratie authentique, une société qui cessait de voir le gouvernement sous le contrôle d’intérêts privés ou d’élites auto proclamées… une société qui vivait, pour citer Abraham Lincoln, ce que le mot veut dire « le gouvernement par le peuple, pour le peuple, avec le peuple ».

 

Les amendements à la loi du financement démocratique des partis politiques par le gouvernement de Madame Marois n’étaient pas des amendements. Ils étaient un renversement total du lègue principal que voulait laisser René Lévesque à son peuple. Le financement démocratique des partis est devenu le financement étatique des partis. Comme le dira sans détour le « père » de la loi du financement démocratique des partis, Robert Burns : « Aujourd’hui, l’orientation de départ est faussée et même renversée. On substitue le financement de l’État au financement populaire. On substitue les partis politiques à la volonté populaire. »(27) Dans le même article, l’ex-ministre de la Réforme électorale et parlementaire dans le gouvernement de René Lévesque affirme qu’un parti qui n’est pas capable de vivre par le financement de ses membres ne mérite pas d’exister : « Les partis doivent naître, se maintenir et, au besoin, mourir en fonction de la volonté citoyenne, pas autrement. »(27)

 

Il est difficile d’imaginer une plus grande trahison de la pensée de René Lévesque et cela par son propre parti. Il est extraordinairement triste d’entendre le huitième successeur de René Lévesque, Paul Saint-Pierre Plamondon, nous dire aujourd’hui (décembre 2021) que la preuve qu’il a remis le PQ sur les rails, c’est que les finances du parti vont bien !! Tout ce qu’il a eu à faire a été de puiser dans les fonds publics !! Comme tous les autres partis par ailleurs !

 

Ce faisant, sans peut-être s’en rendre compte, le chef actuel annonçait que le PQ non seulement renonçait à être financé par ses membres mais conséquemment n’avait pas besoin de leurs idées, de leur dynamisme, de leur apport au programme du parti, du militantisme qui avait toujours été sa force. À moins d’un miracle qu’on ne voit pas poindre à l’horizon, se pourrait-il que le chef Plamondon nous annonce sans s’en rendre compte que le 3 octobre 2022, à l’occasion de la prochaine élection générale au Québec, l’heure sera venue pour le PQ de s’en « mordre les doigts » !

 

ET QU’EN EST-IL DE LA DÉMOCRATIE SUR LE TERRAIN ?

« La plus grande déconvenue de René Lévesque au caucus lui vint de l’avortement de son projet concernant la représentation proportionnelle. Il croyait à l’absolue nécessité de ce mode de représentation électorale, ce fut pour René Lévesque, démocrate, une déception amère. »(28)

 

            Le 15 août 1984, le caucus des députés du Parti québécois était réuni à Drummondville. À l‘ordre du jour : la réforme du mode de scrutin. Le premier ministre l’avait annoncée dans son discours inaugural à l’Assemblée nationale, le 21 février 1978 puis de nouveau le 23 mars 1983, encore une fois dans le cadre du discours inaugural. C’était la politique officielle du gouvernement. Le ministre de la Réforme électorale et parlementaire, Robert Burns, avait mené une large consultation conduisant à favoriser un scrutin par représentation proportionnelle régionale. La proposition a été soumise et acceptée au Conseil des ministres le 12 mars 1983. À son tour, le directeur général des élections a mené une vaste consultation publique sur le sujet. Son rapport officiel, le 28 mars 1984, recommande un scrutin par « représentation proportionnelle territoriale ».

 

Au caucus de Drummondville, le 15 août 1984, la proposition du premier ministre déjà adoptée par son Conseil des ministres est refusée par les députés. Comme l’a dit Jérôme Proulx, présent à titre de député de Saint Jean : « …ce fut pour René Lévesque, démocrate, une déception amère … Il croyait à l’absolue nécessité de ce mode de représentation électorale. »(28)

 

            Et pourquoi le premier ministre nourrissait-il une telle foi absolue en une « proportionnelle régionale » ? C’est que le Gaspésien, René Lévesque, était un tenant tout aussi absolu de la décentralisation des pouvoirs de Québec vers les régions. Transférer des vrais pouvoirs vers les régions nécessite qu’il y ait des territoires pour les recevoir et des personnes élues pour les exercer. Pour un examen en profondeur des liens entre le mode de scrutin proportionnel et la décentralisation, voir le deuxième volume de la trilogie.(2) Les députés en caucus ont maintenu le mode de scrutin actuel et ont préféré maintenir les frontières artificielles que sont les circonscriptions actuelles et où ils avaient été eux-mêmes élus plutôt que de faire de nos régions les assises d’une véritable démocratie régionale et locale. En fermant la porte de la « proportionnelle régionale », les députés du PQ ont scellé le sort d’un des plus grands rêves politiques de René Lévesque et d’un des plus importants progrès qu’aurait pu réaliser le peuple sur les territoires qu’il habite.

 

Comment être plus explicite ? Pour reprendre quelques extraits du Livre blanc de monsieur Lévesque, voici comment il s’exprime : « la décentralisation est d’abord une question de démocratie… la décentralisation est une conception démocratique de l’organisation sociale et politique… c’est une façon différente de participer à la vie collective… c’est un acte de confiance envers les individus… c’est une assise de solidarités nouvelles… c’est l’occasion d’affermir la confiance des citoyens… c’est la reconnaissance aux collectivités locales du droit de définir elles-mêmes et selon les aspirations de leur population, le nombre et le type de services et d’équipements qui leur conviennent le mieux ».(29)C’est à tout cela qu’ont renoncé les députés du PQ désireux avant tout de préserver leur propre pouvoir.

 

            Mais comment expliquer que le géant politique qu’était monsieur Lévesque, le fondateur du Parti québécois, le premier ministre du Québec ait pu se voir humilié par les siens sur une question à laquelle il tenait tellement ? Trois causes !

 

La première est plutôt institutionnelle. Les députés de quelque parti que ce soit sont traditionnellement réfractaires à modifier un mode de scrutin qui a justement démontré sa supériorité dans le fait qu’il leur a permis d‘être élus. Modifier le type de scrutin, c’est modifier l’assise du pouvoir, c’est éliminer la base sur laquelle il tient présentement sans donner de garantie de réélection aux élus. Pour trop de députés, leur survie politique est plus importante que pourraient et devraient avoir les citoyens qu’ils sont censés représenter.

 

La seconde cause tient à une bien curieuse interprétation d’un principe central du système parlementaire britannique, celui de la solidarité ministérielle. Le conseil des ministres est responsable collectivement. Une décision du conseil est une décision qui lie tous et chacun sans exception. Un ministre qui se désolidarise du conseil se doit de le quitter. Or deux ministres ont suivi un autre chemin. Marc-André Bédard a succédé à Robert Burns comme ministre de la réforme électorale mais, contrairement à son prédécesseur qui avait été le proposeur de la réforme au conseil des ministres (comme par ailleurs il avait été le « père » de la loi sur le financement démocratique des partis politiques !), le ministre Bédard a reçu la responsabilité de la réforme mais l’a portée mollement, n’a tenu aucune consultation, n’a pas établi un lien actif sur ce dossier avec le bureau du premier ministre. De fait, monsieur Bédard n’a pas été présent au caucus de Drummondville pour défendre le dossier dont il était responsable ! Mais il y a pire. En devenant à toutes fins pratiques absent du dossier, monsieur Bédard a ouvert la porte toute grande à son collègue, Jacques Parizeau. Celui-ci, contre toutes les règles de la solidarité ministérielle, s’est érigé en principal opposant à la réforme. Et il l’a fait dans le style qu’on lui connaissait bien : ouvertement, bruyamment, sans en accepter un iota. Il n’y avait aucun secret que monsieur Parizeau était le responsable du « NON à la réforme du mode de scrutin ». Il a été si bien reçu à ce titre que, dans mes fonctions de sous-ministre à la réforme électorale, j’ai été convoqué par le ministre Parizeau à une rencontre formelle où, entouré de quelques personnages de l’organisation du parti, il a tenté pendant quelques heures de me faire renoncer à soutenir la réforme !!

 

La troisième cause de l’échec de René Lévesque dans ce dossier tient justement à l’organisation électorale du Parti québécois. La puissante « machine du PQ », experte bien sûr du mode de scrutin actuel, était farouchement opposée à la réforme. En soi, ce n’était pas une grande surprise : les machines de partis sont tout aussi conservatrices que les députés quand on touche à leur champ d’expertise. Celle du PQ était allée jusqu’à produire un document substantiel qui comportait une argumentation systématique contre la réforme. J’ai eu l’occasion d’en prendre connaissance par un détour imprévu. Quand on est sous-ministre et qu’on est demandé par le Premier ministre, on se déplace vers son bureau et non pas lui vers le tien ! Or voilà monsieur Lévesque dans mon bureau ! Il est d’humeur massacrante. Il a en main ce document bien officiellement marqué au nom du comité national d’organisation électorale du PQ avec signature de son directeur. Le document avait été rageusement annoté en rouge par la plume du premier ministre. Quand celui-ci l’a projeté sur mon bureau, le document était ouvert à une page centrale où une phrase était triplement entourée d’un épais trait rouge. La phrase disait : « Commençons par faire l’indépendance… on s’occupera de démocratie après ! » Il aurait été bien difficile de heurter plus frontalement les convictions du Premier ministre !

 

FRANÇOIS LEGAULT ET LA SUCCESSION RÉELLE DE RENÉ LÉVESQUE

À l’élection de 2018, la revue L’Actualité a publié une de ces questions-réponses classiques où on interroge tous les chefs de partis sur les mêmes sujets à la veille d’une élection. À la question « pourquoi vous cessez d’être indépendantiste ? : la réponse de François Legault a été : « je ne cesse pas d’être indépendantiste, je cesse d’être péquiste. » À la question : « alors pourquoi vous cessez d’être péquiste ? » vient la réponse : « parce que le PQ n’y arrivera pas. Le PQ ne réussira pas à réunir le nombre qu’il faut pour gagner un référendum. » Et nouvelle question : « qu’est-ce qu’il faut pour avoir le nombre ? » Réponse : « trois choses » de répliquer François Legault : « il nous faut prendre le contrôle de l’immigration; il nous faut renforcer la position de la langue française; il nous faut prendre d’avantage conscience de notre identité nationale. »

 

Sept ans plus tard, le parti fondé par François Legault, la Coalition pour l’avenir du Québec, était devenu le gouvernement du Québec. Les trois premières mesures législatives mises en marche par ce nouveau gouvernement : une loi sur l’immigration, une loi sur la langue française, une loi sur la laïcité de l’État ! Sans oublier une déclaration unilatérale du premier ministre à l’effet que la Constitution canadienne était modifiée pour désormais indiquer que le Québec constituait une nation distincte.

 

Et comme conclura Thomas Mulcair, celui qui nous aura rappelé cette déclaration de François Legault faite à la revue L’Actualité : « Si le Québec cherche ces pouvoirs et ne les obtient pas, la souveraineté risque de paraître comme la solution naturelle. »(30)

 

Mais pourquoi François Legault suivrait-il les traces de René Lévesque ? Pour cela, il est fort intéressant de retourner aux témoignages qu’ont livrés les quelque cinquante personnes interviewées dans le livre « René Lévesque et nous ». En voici des extraits percutants tirés des propos tenus par François Legault.(31)

Le premier indique bien qu’il avait compris le message du référendum de 1980 – là où les Parizeau, Laurin, Léonard, Lazure et autres ont cessé de suivre le leadership de Lévesque. François Legault a choisi de fonder un parti plutôt que de subir le sort que le PQ a fait à son fondateur.

« Il y a eu le référendum de 1980. C’était très émotif… Ça reste un grand exercice démocratique… les Québécois sont profondément démocratiques, modérés. »

« Monsieur Lévesque cherchait à atteindre une véritable souveraineté. Mais il connaissait son peuple, l’attachement de beaucoup de Québécois au Canada… mais il avait aussi un côté réaliste. Le Québec, même indépendant, aurait eu la politique de sa géographie. »

« L’une des valeurs les plus fondamentales qui a guidé René Lévesque toute sa vie politique, c’est son côté démocrate. Il était un grand démocrate, ouvert sur le monde. »

 

Le premier ministre d’aujourd’hui a compris ce qu’il y avait de plus fondamental politiquement chez René Lévesque. Il aussi partagé le jugement de monsieur Lévesque sur le déclin du parti qu’il avait fondé :

« René Lévesque n’accordait pas une grande importance à la durée de vie des partis politiques. Il disait que les partis politiques vieillissent vite. Le déclin du PQ, c’est pas mal ça, Il a mal vieilli parce qu’il a arrêté de se soucier de ce que le peuple pensait. Il est resté accroché au passé. »

Enfin, pour ce qui est probablement le facteur le plus important pour le succès de la mission qu’il s’est donnée, François Legault, à l’exemple de René Lévesque, s’est positionné au cœur de la vie politique en démocratie, non pas d’abord au niveau de la défense des idées, mais d’abord et fermement au niveau du peuple lui-même dont il parle constamment avec grande fierté de la solidarité, de la ténacité, de la discipline, de la résilience.

 

« Mon sentiment le plus durable (face à René Lévesque), c’est l’immense fierté qu’on ressentait. »

« En affirmant "on est quelque chose comme un grand peuple" René Lévesque a été un créateur de fierté. C’est très important pour un peuple – comme pour un individu – d’être fier. Ça donne des ailes, de la confiance et de la force. »

« Ce qui m’inspire de René Lévesque, c’est sa proximité avec le peuple et son côté créateur de fierté. »

« L’héritage le plus important de René Lévesque, c’est la fierté et donc la confiance en eux qu’il a inculquées aux Québécois. »

 

Enfin, François Legault fait lui-même le lien avec René Lévesque :

« Je suis très différent de René Lévesque. Je ne prétends pas avoir son charisme. Je suis plus concret, rationnel. Mais, comme lui je souhaite que les Québécois soient encore plus fiers. C’est sur ce point-là que je sens une filiation. Le fil conducteur, c’est la fierté. »

 

La dernière cheffe de cabinet de René Lévesque fera le lien entre lui et François Legault. Martine Tremblay était l’invitée de l’émission Deux hommes en Or à Télé Québec, le 7 février 2022. À la question de l’animateur, « si monsieur Lévesque était vivant aujourd’hui, à quel parti politique se joindrait-il ? » la réponse de Martine Tremblay était tout à fait « lévesquienne »… Monsieur Lévesque n’était pas partisan. Il ne se joindrait pas à un parti. Mais il observerait que cette grande partie de la population qui a cru en lui et qui lui a été fidèle se retrouve à appuyer aujourd’hui le parti de François Legault. Ce serait au tour de monsieur Lévesque de se montrer fidèle à son monde : il irait les rejoindre auprès du parti de François Legault.

 

Une copie du livre que j’ai publié en 2020 – René Lévesque, l’héritage démocratique toujours d’actualité – a été remise au premier ministre Legault. Le PM a accusé réception en ces mots :

« Votre livre a d’autant plus d’intérêt que René Lévesque est pour moi une grande source d’inspiration. Il a été un ardent défenseur du peuple québécois, un grand démocrate et il figure sans conteste parmi les plus grands bâtisseurs du Québec moderne. Comme l’indique le titre du livre, cet héritage est toujours d’actualité, et j’essaie d’en être à la hauteur comme Premier ministre du Québec. »(32)

 

Dans Le Devoir du 18 septembre 2021, parlant du projet de loi 21, le chroniqueur Michel David cite les propos de l’ex-éditorialiste en chef de la Presse et ex-sénateur, André Pratte. Celui-ci avertit les lecteurs du National Post de Toronto que « le Canada anglais est tombé tête première dans le piège séparatiste. Comme toujours lorsqu’il se sent attaqué, le Québec fait bloc derrière son gouvernement, quel qu’il soit. Et si jamais la Cour suprême invalide la loi 21, la colère et la frustration au Québec vont atteindre des niveaux de frustration qu’on n’a pas vus depuis l’échec de l’accord du lac Meech ».

 

            Et Michel David de conclure : « Dire que la foi fédéraliste du premier ministre Legault demeure suspecte serait un euphémisme. Ceux qui craignent qu’il soit demeuré fidèle à ses convictions indépendantistes d’antan et qu’il attende simplement le moment propice pour sortir du placard sont aussi nombreux que ceux qui le souhaitent. Cela fait beaucoup de monde. »

 

VERS UN RETOUR AU GRAND RÊVE : OPTION QUÉBEC

            À la fin de ses Mémoires, René Lévesque fait un constat qui pourrait être lourd de sens pour l’histoire du Québec. (En parlant d’Option-Québec) « le relisant pour la première fois depuis longtemps, je me dis que moi, je peux encore vivre avec ça, et même, présomptueusement qu’un jour viendra où c’est avec quelque chose comme ça qu’on finira par en sortir ».(33)

 

De fait, s’il y a une constante dans l’expression de la volonté populaire quant à l’avenir politique et constitutionnel du Québec, c’est bien une très forte concentration des pouvoirs entre les mains du Québec mais avec un lien surtout économique avec le Canada. On en trouve des variantes avec Daniel Johnson dans « Égalité ou indépendance » publié en 1968 et dont René Lévesque a dit qu’elle « m’allait comme un gant » (Attendez..., page 269). Sont venus par la suite, le rapport des États généraux du Canada français en 1968; le rapport Allaire (Le Québec libre de ses choix) en janvier 1991; Option Québec en 1968; même le Livre beige de Claude Ryan en 1980; le modèle de constitution que proposait l’Action démocratique du Québec en juin 2001; le rapport de la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec (Bélanger-Campeau) en 1991 et très récemment, le modèle de constitution proposé par l’assemblée citoyenne pilotée par Christian Lapointe en 2019.

 

Pour reprendre les mots de René Lévesque, est-ce « qu’un jour viendra où c’est avec quelque chose comme ça qu’on finira par en sortir »… et que François Legault en sera le maître d’œuvre ?

 

EN GUISE DE CONCLUSION

Le 24 août 2022 marquera le 100e anniversaire de la naissance de René Lévesque. Il y aura profusion de témoignages, d’écrits, de documentaires, possiblement des colloques et certainement une grande cérémonie à l’Espace René Lévesque à New Carlisle. On parlera du plus grand patriote de l’histoire, on parlera de l’immense infusion de fierté qu’il a transmise à la société québécoise, on parlera de géant de la vie démocratique. On pourra passer de la théorie de la démocratie à sa réalisation chez nous : René Lévesque a été un démocrate, avec le peuple, pour le peuple, par le peuple.

 

Malheureusement, parce que cela est faux, beaucoup continueront à proclamer que la plus grande contribution de René Lévesque à l’histoire du Québec a été la loi 101. D’autres invoqueront l’héritage démocratique de René Lévesque mais sans vraiment le connaître et souvent sans s’être rendu compte qu’il a été lâché par les siens sur des questions fondamentales. On saluera le fondateur du Parti québécois mais on oubliera de dire qu’il n’a pas quitté son poste avec la mention « mission accomplie » mais qu’il a été poussé à la porte par ce qu’il appellera lui-même du « grenouillage autour de la chefferie ».

 

Le but du présent texte n’est pas de faire le procès de ceux qui l’ont lâché. Le but est que l’histoire s’écrive dans la vérité. De fait, l’inspiration de ce texte vient de la trilogie sur Lévesque dont il est mention dans les références ci-bas.(2) Quand on fait le survol de notre histoire, de Samuel de Champlain à René Lévesque en passant par Louis-Joseph Papineau, il s’y trouve une constante importante. Trois grands rêves ont été entretenus. Ils ont chacun eu un immense effet sur notre vie collective. Mais ils ont aussi, tous les trois, frappé un mur.

 

Le peuple métissé qu’envisageait Champlain par le croisement des Premières nations avec les habitants de Nouvelle France n’a jamais reçu l’appui de l’Église et a été enterré d’abord par la conquête anglaise de 1759 puis définitivement par la Loi des Indiens de 1868. Le rêve de Papineau d’instaurer la République démocratique, indépendante du Bas-Canada a rencontré la vive opposition des évêques d’ici puis a amené la trahison de ses compagnons de lutte chez les Patriotes, Lafontaine, Nelson, Morin, Parent et Cartier. Le rêve de René Lévesque d’une société démocratique donc reposant incontournablement sur le pouvoir citoyen a été délaissé par ceux pour qui le nationalisme est plus important que la démocratie.

 

Le dernier mot revient et reviendra toujours au peuple. C’est d’abord parce que René Lévesque a été leur héros que son héritage se poursuivra. Le peuple d’ici a toujours été plus grand et plus fort que ses élites. Les Québécois sont égalitaires, solidaires, fiers, démocrates. Ils tiennent encore le coup après des siècles où ils auraient facilement pu disparaître. Ils méritent d’être vus comme les constructeurs de ce que Mario Polèse appelle et explique fort bien « Le Miracle québécois ». (Boréal, 2021).

 

En cette année 2022, le peuple québécois célébrera le grand champion de sa fierté. Un autre moment important, même possiblement historique, attend ce peuple : l’élection générale du 3 octobre. Depuis René Lévesque, il n’y a eu aucun leader politique qui n’ait atteint son niveau de soutien populaire, aucun qui n’ait autant cultivé son sentiment de fierté que François Legault.

 

Terminons en répétant ces mots de François Legault. Se référant au « beau risque », Le premier ministre actuel dit :

« Ça prenait du courage à monsieur Lévesque pour amener le PQ sur ce chemin-là… ça lui a couté cher, même s’il était le fondateur, le chef historique de ce parti-là. Mais il avait écouté le peuple et s’est ajusté. Il ne pouvait pas garder le Québec dans un cul-de-sac… il fallait qu’on se donne une perspective, qu’on avance. Je me reconnais beaucoup là-dedans. »(34)


 

(1) Le Journal de Montréal, le 23 mai 2021; sondage Léger.

(2) Voir : Roméo Bouchard. Le rêve de Champlain, de Papineau et de Lévesque, Un Peuple. Préface d’André Larocque. Éditions Lambda. Ce volume est le troisième d’une trilogie publiée par les Éditions Lambda. Le premier portait le titre : René Lévesque, un héritage démocratique toujours d’actualité, était écrit par André Larocque. Le second portait le titre « Décentralisons-nous ! Pour une sortie de crise digne du Québec », et a été écrit par Roméo Bouchard et André Larocque en collaboration.

(3) René Lévesque. Attendez que je me rappelle… Éditions Québec-Loisirs, s.d.

(4) René Lévesque. Attendez que je me rappelle… page 26.

(5) René Lévesque. Ibid. page 26.

(6) René Lévesque. Ibid. page 193.

(7) Michel Carpentier, in Marie Grégoire et Pierre Gince : René Lévesque et nous. Éditions de l’Homme, 2020, page 179.

(8) Martine Tremblay, in Marie Grégoire et Pierre Gince : René Lévesque et nous, page 229.

(9) René Lévesque. Attendez que je me rappelle… page 289-290.

(10) René Lévesque. Ibid. page 452.

(11) René Lévesque. Ibid. page 452.

(12) René Lévesque cité dans René Lévesque et nous, de Marie Grégoire et Pierre Gince, page 31.

(13) René Lévesque, Attendez que je me rappelle… page 32.

(14) René Lévesque, Ibid. page 33.

(15) René Lévesque et nous, voir Guy Chevrette, page 209.

(16) René Lévesque et nous, voir Jacques Brassard, page 289.

(17) René Lévesque et nous, voir Guy Rocher, pages 137-143.

(18) René Lévesque et nous, voir Marc Laurendeau, page 189.

(19) René Lévesque et nous, voir Martine Tremblay, page 224.

(20) Pierre Godin, cité dans le Journal de Montréal, le 28 octobre 2017.

(21) René Lévesque, Attendez que je me rappelle… page 388.

(22) René Lévesque, Ibid. page 425.

(23) Pauline Marois, « Un Québec qui se souvient » dans le Devoir du 4 février 2022.

(24) René Lévesque et nous. Voir François Legault, page 352.

(25) René Lévesque. Attendez que je me rappelle… page 386.

(26) René Lévesque et nous. Voir Michel Carpentier, page 176.

(27) Robert Burns, Le Devoir, le 10 novembre 2012.

(28) Jérôme Proulx. René Lévesque : l’homme, la nation, la démocratie. Presses de l’université du Québec, 1992, page 137.

(29) Coalition pour un Québec des régions. Libérer les QuébecS. Éditions Écosociété, 2007, Annexe 1 « La décentralisation selon René Lévesque », pages 147-160.

(30) Thomas Mulcair, Le Journal de Montréal, le 14 mai 2012.

(31) René Lévesque et nous, voir François Legault, pages 351 à 357.

(32) François Legault, lettre du 7 juillet 2020.

(33) René Lévesque, Attendez que je me rappelle, page 196.

(34) René Lévesque et nous, voir François Legault, page 352.

 

Autres ouvrages du même auteur :

1971 Défis au Parti Québécois. Montréal : Éditions du Jour. 1971. Préface de Guy Joron.

1997 « La réforme électorale. L’héritage démocratique du premier ministre René Lévesque » dans L’Éthique gouvernementale.Cahiers de recherche éthique 21, Fides, pp 317-355.

2006 Au pouvoir, citoyens ! Mettre fin à l’usurpation des partis politiques. Montréal, Éditions BLG.

2007 Le Parti de René Lévesque. Un retour aux sources. Montréal, Fides

2009 Dialogue avec Claude Béland sur une constitution du Québec d’aujourd’hui. Vers une assemblée constituante citoyenne. Mouvement Démocratie et Citoyenneté du Québec.

2013 « La démocratie au Québec, les partis contre les citoyens », dans L’Action nationale, vol. CIII, no 1 (janvier), pp 92-116.

2016 Robert Burns, le ministre de la démocratie citoyenne. Éditions Trois-Pistoles.

2020 René Lévesque, un héritage démocratique toujours d’actualité. Éditions Lambda.

2020 Décentralisons-nous ! Pour une sortie de crise digne du Québec. En collaboration avec Roméo Bouchard. Éditions Lambda.

2020 « La marche d’un peuple ! », Préface à : Le rêve de Champlain, de Papineau et de Lévesque, par Roméo Bouchard. Éditions Lambda


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