PAR ANDRÉ LAROCQUE

QUÉBEC, le 25 août 2018

PRÉSENTATION À L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE CITOYENNE

Dans le cadre du projet CONSTITUONS! mené par Christian Lapointe et l'INM, André Larocque s'est adressé en ces termes aux citoyens et citoyennes qui allaient se prêter au jeu de rédiger une constitution pour le Québec.

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Si je vous demandais de vous lever puis de vous rasseoir, je pourrais vous demander ce qui a permis ce mouvement. La réponse : tout d’abord votre colonne vertébrale. Vous imaginez-vous un instant ce dont nous aurions l’air tous et chacun de nous sans colonne : nous serions des taches pas très élégantes sur le plancher !! Nous avons besoin d’une colonne, pour nous tenir debout. Nous avons besoin de nous tenir debout pour affirmer qui nous sommes, en un mot nous devons assumer notre IDENTITÉ. Or, une société, comme un individu, a besoin d’une colonne vertébrale pour se tenir debout, pour rassembler tous ses morceaux et pour affirmer son identité.

Mais nous n’avons pas qu’une colonne vertébrale. Nous avons aussi un cœur au ventre. Celui-là nous indique ce que nous aimons, ce que nous n’aimons pas, ce que sont nos attentes, nos espoirs, en un mot, nos VALEURS. Une société, comme un individu, a besoin d’affirmer ses valeurs.

Mais il ne suffit pas d’avoir une colonne et un cœur pour vivre sa vie; il faut avoir les moyens d’assumer ces valeurs en fonction de notre identité. En un mot il faut disposer d’un certain POUVOIR. Une société, comme un individu, possède des pouvoirs qu’on nomme généralement les pouvoirs publics. 

Les trois mots au cœur de votre démarche comme assemblée constituante :

IDENTITÉ, VALEURS, POUVOIR.

Me « constituer » comme personne, c’est répondre à trois questions : Qui est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je veux ? Qu’est-ce que je peux faire ?

Donner au Québec une constitution, c’est répondre à trois questions :

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Constituer une société, c’est une chose. Donner une constitution à une société démocratique, c’est ajouter une dimension fondamentale, celle – comme le dit le mot démocratie – de mettre le peuple au pouvoir, celle d’assurer la souveraineté populaire.

La souveraineté, ça signifie le pouvoir qui ne reconnaît pas de pouvoir qui lui soit supérieur. On peut parler d’État souverain, mais en démocratie, il faut d’abord parler de souveraineté populaire. L’État reconnaît un pouvoir qui lui est supérieur, c’est celui du peuple qui l’a créé.

En d’autres mots, l’État est le produit de la souveraineté populaire et non pas l’inverse. Georges Washington, Thomas Jefferson, Alexander Hamilton et les autres n’ont pas créé les États Unis d’Amérique. Le peuple a créé l’État américain.

« WE THE PEOPLE do ordain and establish this Constitution for the United States of America »

Préambule de la constitution de l’Équateur (2008) :

« Nous, toutes et tous, le peuple souverain de l’Équateur, en vertu de notre souveraineté, nous décrétons la présente constitution »

Quand le roi de Suède lit sa constitution, l’article 1 lui apprend que « tout pouvoir émane du peuple... » (donc son pouvoir à lui, le roi, et le pouvoir de l’État suédois).

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Vous êtes les membres d’une assemblée constituante. Donc vous êtes :

A) RASSEMBLEURS

Contrairement aux partis politiques, aux groupes de pression, aux centres d’intérêts particuliers, votre tâche première est d’unir, de réconcilier, de rassembler tous les citoyens au-delà de toutes les divisions. Une constitution, ce n’est pas pour les indépendantistes contre les fédéralistes, les bleus contre les rouges, les bons contre les méchants… Une constitution démocratique, c’est pour tous et sans exception.

En démocratie, le citoyen est roi. Vous êtes une assemblée constituante « citoyenne ». Vous avez été choisis par tirage au sort. Dans le système politique qu’on a présentement, vous élire au niveau des circonscriptions aurait remis votre désignation entre les mains des machines des partis politiques. Or, vous avez justement à vous situer bien au-dessus des partis et de rassembler là où les partis par définition confrontent, vous devez unir là où les partis divisent, être inclusifs là où ils sectorisent. Vous êtes une assemblée citoyenne. Vous êtes là au nom du titre le plus précieux dans une démocratie, celui de citoyenne et de citoyen.

Jean-Jacques Rousseau, tiré du Contrat social :

« Il ne peut y avoir de patriotisme sans liberté, de liberté sans vertu, de vertu sans citoyens. Créez des citoyens et vous aurez tout ce dont vous avez besoin. Sans les citoyens, vous n’aurez rien que des esclaves avilis, à commencer par les autorités de l’État. »  

Vous êtes une assemblée de citoyens !

B) ÉCOUTEURS

Pour rassembler toute une société, il ne faut pas d’abord écrire… il faut d’abord écouter… écouter tout le monde… donc écouter longuement… écouter chacun… être convaincu que chaque citoyen a le droit à son opinion quelle qu’elle est soit… Comme devant une boîte de scrutin, les citoyens sont égaux… Dieu merci, on n’accorde pas plusieurs droits de vote aux avocats, aux professeurs de science politique ou aux spécialistes de quoi que ce soit. Ceux-là ont possiblement plus d’information. Ils peuvent vous être utiles. Mais ils n’ont pas plus que quiconque droit au chapitre. Ne les laissez pas décider pour vous.

Ne perdez pas de vue que la légitimité de la constitution que vous produirez en bout de piste va largement dépendre du nombre de personnes qui auront été entendues et de la force et de la clarté avec lesquelles elles se seront exprimées.

C) ACCOUCHEURS

Vous avez l’extraordinaire tâche d’accoucher une société politique d’elle-même… de l’amener à dire qui elle est, ce qu’elle veut et comment elle entend se gouverner. Cela n’avait jamais été fait avant au cours de nos plus de 400 ans d’histoire, y compris au Canada en 1982 !! Tous nos régimes politiques antérieurs ont dépendu d’une façon ou d’une autre d’élites. Votre tâche est de dégager la « volonté populaire », celle qui constitue l’élément de base d’une démocratie. Vous avez à remplacer celles et ceux qui parlent au nom du peuple. Vous avez à donner la parole et la décision au peuple lui-même. Gardez en tête cet article de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies:

« La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics… » 

Ce faisant, vous allez faire bien plus que de produire un texte. Vous allez faire bien plus que de produire une loi, même si on l’appelait « loi fondamentale ». Vous allez donner au peuple québécois un projet de société, le plus prodigieux projet de société qu’une société démocratique puisse se donner.

D) INNOVATEURS

Nous vivons dans une société ou la foi des citoyens dans leurs institutions est dangereusement à la baisse. Quand on lit depuis des années dans les sondages que nos élus ont une popularité inférieure à celle des vendeurs de chars usagers, on en rit… mais c’est pas drôle ! Quand on considère qu’au cours des vingt dernières élections au Québec, donc depuis 1945, le parti qui a formé le gouvernement n’a reçu un mandat majoritaire du peuple (50% +1) que trois fois seulement… c’est à se poser des questions. Quand on lit que, sur la même période, trois fois le parti qui a terminé non pas premier mais deuxième dans une élection a gagné cette élection… on se dit que vaudrait mieux regarder la situation de près.

Or, vous aurez justement l’occasion très importante de regarder ça de près. Ce faisant, vous jouirez d’un immense avantage ! Vous pourrez examiner nos institutions politiques globalement et non pas travailler à la pièce. Vous aurez à définir un régime politique. Or un régime politique constitue un ensemble d’institutions, chacune reliée aux autres, chacune dépendante des autres. Un exemple : beaucoup de Québécois veulent libérer leur député de la ligne de parti. Cela suppose une plus grande séparation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Or cette question de la séparation des trois pouvoirs est justement fondamentale en démocratie. Autre exemple : modifier le mode de scrutin sans d’abord déterminer dans quel régime il s’appliquera, c’est mettre le charriot devant les bœufs.

Vous aurez à examiner si l’exécutif est vraiment redevable au peuple, si les députés sont vraiment représentatifs de leurs électeurs, si les juges sont vraiment indépendants. Établir une constitution, c’est le cadre idéal pour pouvoir poser toutes les bonnes questions en même temps et de dégager un régime qui se tient. Pas une mince tâche, mais une tâche incontournable.

Quelles que soient les conclusions auxquelles vous arriverez, le plus fondamental est que vous innoviez en restaurant la confiance des citoyens dans leurs institutions politiques.

E) CRÉATEURS

En Islande, une assemblée constituante a produit un projet de constitution suite à une très large consultation populaire – notamment via l’informatique. Le projet a été approuvé par référendum puis… est resté sur le carreau suite à l’élection au gouvernement d’un parti politique qui s’y opposait. L’Islande est venue bien proche de devenir le premier État au monde ou la constitution émane véritablement de la volonté populaire et non pas des élites ou des spécialistes.

J’ai deux bonnes nouvelles pour vous.

La première : Le Québec pourrait devenir le premier État dans l’histoire de la planète ou les citoyens se seront donnés à eux-mêmes, directement, explicitement la constitution qu’ils veulent.

La seconde bonne nouvelle : c’est à vous, membres de l’assemblée constituante citoyenne de présider à l’opération qui confèrera ce titre de gloire au Québec !

EN CONCLUSION

En somme, votre tâche est très simple ! Il suffit de compléter une phrase !!! Après avoir bien écouté, vous avez simplement à compléter la phrase suivante :

Nous, le peuple du Québec, établissons la présente constitution par laquelle le Québec affirme qui il est, énonce les valeurs fondamentales qui sont les siennes, organise les pouvoirs publics de façon à ce qu’ils soient toujours soumis à la souveraineté populaire.  

JE VOUS SOUHAITE LE PLUS GRAND SUCCÈS DANS VOS TRAVAUX. Beaucoup de Québécoises et de Québécois feront comme moi : elles et ils suivront vos travaux passionnément.

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